“Quand les chiens sont lancés, ils ne s’arrêtent plus”
Comme Jack London, Nicolas Vanier ou Paul-Emile Victor, Edwige Carron, créatrice de voyages polaires, a fait l’expérience en janvier dernier d’un raid en traineau à chiens en Laponie suédoise. Bien qu’habituée à ce type d’aventure, elle nous raconte une expédition hors du commun.
Sous son manteau de neige, la taïga lapone paraît éternelle. Depuis plusieurs siècles, elle a servi de terrain de découvertes à de nombreux explorateurs. Toute l'année, c'est aussi le lieu de vie des Samis, ce peuple éleveur de rennes, mystérieux et endurci par le froid. Pour explorer la région ou s'y déplacer au quotidien, le traineau à chiens constitue un excellent moyen : il permet de couvrir de longues distances, de découvrir des paysages somptueux et de côtoyer les mushers, ces pilotes des neiges mythiques du Grand Nord. Vivre une telle aventure est accessible pour quiconque accepte de tester sa motivation.
"Habituellement, nous programmons des voyages de février à fin mars pour avoir la meilleure météo possible. En janvier, on risque des chutes de neige importantes et passé mars, la neige fond et peut devenir mauvaise", explique Edwige. À cause de la neige tombée en abondance (30 cm par jour), le groupe parti une semaine plus tôt a dû revenir au camp de base parce que les chiens étaient incapables d'avancer. C'est la première épreuve : affronter les éléments. Le climat extrêmement changeant de ces dernières années ne facilite pas la tâche. D'un jour à l'autre, le mercure peut passer de -30 à zéro degré.
À chaque chien son caractère
L'équipement est une affaire à ne pas négliger mais l'aspect collectif est plus important encore. Un musher, six équipiers et quatre chiens par traineau. C'est la composition type d'un groupe partant en raid. "Lorsqu'on arrive le premier soir, le musher prend le temps de faire connaissance avec chacun pour découvrir les différents tempéraments. C'est lui qui décide quels chiens iront avec quelle personne. Chacun d'entre eux a son prénom et son caractère", raconte Edwige. "C'est très drôle de voir à quel point les animaux nous ressemblent", sourit-t-elle. Voilà la seconde épreuve : s'accorder avec son attelage ! Plus la semaine avance, plus la partition est correcte.
Comment prendre un virage, comment freiner, comment poser l'ancre une fois le traineau arrêté, connaître la routine d'une journée... Tous ces points sont expliqués lors de la journée de formation à la conduite du traineau, dès le début de la semaine. Edwige insiste : "C'est une étape extrêmement importante. Le musher est strict. Il ne laisse aucune place à l'erreur avec les animaux. Une erreur de freinage peut gravement les blesser". Il n'est pas nécessaire d'avoir déjà pratiqué l'activité pour se lancer. En revanche, mieux vaut être prévenu, les conditions d'un raid peuvent être épiques. Les traîneaux sont chargés, l'heure du grand départ approche.
Promiscuité et routine
Chaque jour, les équipages couvrent une trentaine de kilomètres de cabane en cabane, entre forêts boréales, prairies, vallons, rivières et lacs gelés. Le matin, le musher prépare la nourriture des animaux. Vers 7h, par –30 degrés, chacun va nourrir ses huskies un par un. Puis les affaires sont rangées, le camp plié. Les chiens, tout juste équipés, hurlent et trépignent d'impatience. Le départ est donné. "Quand le rythme est pris, les chiens ne s'arrêtent plus pendant plusieurs heures. Il faut juste freiner de temps à autre. Le plus dur c'est de résister au froid dans cette position statique et de ne parler à personne sauf à ses chiens", témoigne Edwige. De quoi méditer, profiter du paysage et des rennes qui peuplent les lieux.
À l'arrivée de l'étape, la nuit est déjà là. De nouveau la routine : attacher les chiens à la chaîne, "sans les gants et en faisant attention de respecter un ordre précis, car certains chiens s'adorent et d'autres se détestent". Reste à retirer les harnais, vérifier les pattes des animaux, les soigner, préparer leur lit de paille pour le soir et les nourrir. Après deux heures d'activité, enfin il est temps de filer au sauna ! Loin d'être une douche, c'est le seul moment où le corps peut se réchauffer correctement. Il faudra attendre le retour au camp de base après quatre jours pour prendre une douche et bénéficier de vraies toilettes fermées.
Troisième épreuve de ce périple : la promiscuité et la solidarité. Dans les cabanes, la vie se fait autour du poêle, avec une petite table et des lits superposés. Il faut accepter l'inconfort pour vivre cette aventure fantastique.
C'est une expérience hors du commun, la vie au grand air à l'état pur dans une nature vierge. "À la fin on se roule par terre avec les chiens au moment des adieux. Eux aussi sont heureux de venir nous voir. On a créé un lien fort avec eux. C'est comme dire au revoir à un ami de vacances qu'on ne reverra pas. Il y a un déchirement..." confie Edwige, encore émue par son expérience. Certains voyages permettent de partir plusieurs jours en expédition, d'autres proposent un mélange d'activité articulées autour d'un mini-raid de deux jours.