Les Inuit sont les inventeurs du « qajaq », le fameux « bateau en peaux » en inuktitut ou Kalaallissiut. Le kayak est constitué uniquement de peaux de phoques tendues sur une ossature de bois flotté. Parfois, de petits os de mammifères marins complètent la structure. Tenons, mortaises et ligatures à partir de tendons assurent à l’ensemble rigidité et souplesse. Chaque embarcation est unique et adaptée à la morphologie du chasseur. Les principes et règles de construction se transmettent de génération en génération. Cet incroyable assemblage répond merveilleusement aux contraintes arctiques : spécificités météorologiques (prédominances des vents, orientation des courants) à la particularité des glaces et à la nature du gibier.
Qui sont les Inuit ?
Ces hommes libres de l’Arctique ont quitté l’Asie voici près de 3000 ans. Chasseurs-cueilleurs nomades, ils ont suivi les troupeaux de caribous dans leurs longues migrations estivales. Par la mer gelée, ils ont franchi le détroit de Béring puis gagné d’île en île l’Alaska, le Canada, la Terre de Baffin et enfin le Groenland. La toundra est devenue leur royaume. Puis un jour, puisqu’il faut bien savoir poser ses « valises », ils se sont installés en bord de mer, en fond de fjords oubliés, à proximité de rivières secrètes.
La toundra est devenue leur royaume
De ce long voyage est née une civilisation circumpolaire où le peuple du froid a forgé ses racines et son identité. Ils sont devenus chasseurs-pêcheurs. Ils ont modélisé une culture originale dont « l’illu » (maison de tourbe ou de glaces), le « qamuttit » (traîneau à chiens) et le « qajaq » ( kayak) sont les marqueurs universels. Ces outils témoignent de leur impressionnante ingéniosité et de leur surprenante capacité d’adaptation à un univers exigeant.
La vie sous ses latitudes reste aléatoire et tributaire des ressources offertes par la toundra, la mer, les rivières. Du chasseur et de son habileté à capturer phoques, narvals, belougas à partir de son kayak, notamment, dépend la survie de la communauté.
Fabriquer son kayak
Le kayak est une embarcation monoplace dans laquelle le rameur est assis et utilise une pagaie double. La fabrication de la structure est le travail de l’homme. La préparation des peaux et leur assemblage incombent à la femme. De son expertise, de la solidité des coutures et de leur étanchéité dépend l’efficacité du chasseur mais aussi sa survie et celle du groupe. Le «ulu», couteau en demi-lune, et les aiguilles en os constituent l’essentiel de l’incontournable trousse à couture. Pas moins de 6 grandes peaux sont nécessaires à sa réalisation. Régulièrement enduites de graisse, elles conservent leur étanchéité et résistent d’avantage à l’abrasion des glaces.
Le pont du kayak est aménagé pour recevoir sur sa proue le harpon et son propulseur, un couteau et son étui, une lance pour chasser les oiseaux. Chaque objet est à portée de main, solidement arrimé. Tout un système de cordage en lanières de peaux et de petits morceaux d’andouillers de caribous percés, assurent ligne de vie et filet de pont. Sur l’arrière du bateau une vessie de phoque gonflée constitue une réserve de flottabilité supplémentaire. Ce flotteur peut être également relié au harpon et permet au chasseur de récupérer sa proie avant qu’elle ne coule.
Lorsqu’il n’est pas utilisé, le kayak est soigneusement rangé loin de la convoitise des chiens sur un échafaudage qui sert également de séchoir à poissons.
Qu’est devenue la pratique du kayak au Groenland ?
Si la vie arctique a profondément changé ces dernières décennies, ses habitants ont su préservé un savant dosage de modernité et traditions dans leur vie quotidienne. Ils restent très attachés aux valeurs ancestrales. Les chasseurs-pêcheurs du Groenland, comme tous les peuples du froid, ont souvent privilégié l’usage de la motoneige à celui du traîneau à chiens. De même, ils se sont équipés de bateaux à moteur plus efficaces et sécuritaires que le « qajaq ».
Toutefois, la pratique du kayak perdure et se développe sous différentes formes. Au nord de la côte ouest, le kayak est encore utilisé pour chasser le narval et le belouga. Il n’est pas rare de croiser, sur la banquise au printemps, un attelage transportant un kayak en direction de l’eau libre.
Au nord de la baie de Disko, Juanguak est chasseur-pêcheur à Qeqertaq. Voici 10 ans, j’ai fait sa connaissance et celle de ses proches. Régulièrement au printemps je le rejoins en ski pulka sur ses camps de pêche au « halibut » ou ses postes de chasse au caribou. Juanguak privilégie l’usage du traîneau à chiens pour ses expéditions sur la banquise et à travers la toundra. L’été pour le plaisir, il sort son kayak. Il a construit lui-même son embarcation au club d’Ilulissat. Ensemble nous explorons le Torssukatak et la profonde baie de Qeqertaq.
Un championnat national a vu le jour et regroupe les clubs des grandes villes. Nuuk, Ilulissat, Uummannaq, Sisimiut, Qaqortoq, Upernavik, affrontent à la mi-juillet l’élite de la discipline. Le kayak de conception traditionnelle est l’embarcation de référence. Les ossatures de bois n’ont pas changé, un tissu enduit cousu remplace les traditionnelles peaux de phoques et assure l’étanchéité. Les kayaks sont noirs, blancs, marrons, bleus ou jaunes, aussi colorés que les habitations.
Plusieurs épreuves sont proposées : endurance sur un parcours en étoile avec au moins un portage obligatoire sur une traversés d’île, une épreuve d’habileté à la chasse avec lancé de harpon sur cible. Une épreuve d’esquimautage, véritable chorégraphie nautique clôt le championnat.
Dans les années 1980, à l’initiative de passionnés et fondateurs de Grand Nord Grand Large, sont nées les premières expéditions de kayak polaire ouvertes au grand public. Le Groenland en est une destination phare. Le kayak est un merveilleux compagnon de voyage. Il favorise une immersion respectueuse des espaces traversés. Il est propice à des rencontres fortuites inestimables. Se déplacer en kayak au pays de ses inventeurs et dans l’esprit originel d’itinérance et d’autonomie bouscule chaque voyageur arctique, même le plus averti, au plus profond de lui-même.