Pôles, le magazine par Grand Nord Grand Large

Même pas froid !

Marine Dumeurger
Même pas froid !

Un foie qui produit de l'antigel, de la laine ultrachaude, une ténacité à toute épreuve ou la solidarité du groupe... Du pôle Nord au pôle Sud, la faune et la flore fascinent par leurs facultés d'adaptation. Zoom sur sept espèces qui n'ont pas froid aux yeux.

Le manchot empereur

C'est une créature absolument fascinante. Avec son air bonhomme, à la fois fier et un peu gauche, le manchot empereur peut affronter -60°C, des vents glacés à plus de 200 km/h et la longue nuit polaire. Aucun autre oiseau ne résiste à de telles conditions. Il doit maintenir une température corporelle assez élevée pour empêcher que ses tissus ne gèlent, et suffisamment basse pour éviter une dépense d'énergie trop importante. Sa formule ?  Elle tient dans son plumage ultraperformant et totalement recouvrant. Ainsi le manchot empereur peut compter sur la plus grande densité de plumes par centimètre carré de peau. Courtes et raides, avec leur forme d'écailles, elles sont disposées en diagonale et s'imbriquent les unes dans les autres, ce qui lui crée une structure coupe-vent imperméable. Les plumes sont secondées par une épaisse couche de graisse en dessous, mais tout cela ne suffirait pas si le manchot n'avait pas développé une autre stratégie : rester groupé. Ainsi, ces drôles d'oiseaux ont pour habitude de se serrer les uns contre les autres afin de se tenir chaud. Sur un mètre carré, il n'est pas rare d'observer cinq à six manchots compressés. Une colonie solidaire dont les individus changent constamment de place pour éviter que les mêmes ne restent trop longtemps exposés au froid.

Le poisson des glaces

Avec son corps scintillant et ses grands yeux ronds, c'est un petit bijou de la nature et des grands froids polaires. Le poisson des glaces – appellation qui réunit plusieurs espèces de la même famille – se plaît dans les eaux profondes et glaciales de l'Antarctique. Animal dit « ectotherme », il affiche une température intérieure qui correspond à celle du milieu extérieur. Il a donc acquis l'incroyable faculté de supporter des températures négatives, l'eau de mer salée gelant aux alentours de -2°C. Son secret ? Son foie fabrique des protéines antigel qui évitent la formation de cristaux de glace et la paralysie des organes qui s'ensuivrait. Autre bizarrerie née de son adaptation : son sang est incolore, le poisson des glaces ayant renoncé à produire de l'hémoglobine. Chargée du transport de l'oxygène dans le sang, cette molécule lui donne sa couleur rouge. Or le poisson des glaces vivant dans une eau très oxygénée, il capte et diffuse l'oxygène par d'autres moyens : grâce à son grand cœur puissant, son important volume sanguin et ses larges branchies performantes. Un poisson si bien adapté au froid extrême que le réchauffement climatique pourrait lui être fatal !

Le boeuf musqué

Il porte sur son dos son atout premier pour affronter l'hiver arctique : une laine huit fois plus chaude que celle du mouton. Oui, de la laine, car malgré son nom, le bœuf musqué appartient à la sous-famille des caprinés, comme la chèvre, le mouflon ou le mouton. Mais son énorme toison très isolante n'est efficace que par froid sec. Lorsqu'il pleut, sa laine détrempée se mue en piège mortel : elle provoque une grosse déperdition de chaleur et, si le gel surprend l'animal couché, elle peut coller au sol et l'empêcher de se relever. Le bœuf musqué supporte mal lorsque le thermomètre dépasse 10°C. Il évacue très mal la chaleur, il est même sujet aux insolations. L'été, pour trouver un peu de fraîcheur, il se réfugie sur les dernières plaques de neige.

Le glouton

Si son nom scientifique prête à sourire, le gulo gulo, ou glouton, dispose d'un instinct de survie impressionnant pour braver l'hiver. Au Canada, où il vit principalement, il est même qualifié d'animal le plus féroce du Grand Nord. Avec son masque facial foncé, sa queue touffue, son allure massive et trapue, cette boule de fourrure épaisse est un concentré de hargne et de ruse, un pro de l'embuscade. Grâce à ses longues griffes courbées, il creuse le sol et grimpe aux arbres, lorsqu'il ne se cache pas derrière un rocher. Là, il attend qu'une proie se présente – un renne, par exemple, qui fait pourtant trois fois son poids –, lui saute dessus et s'y agrippe jusqu'à ce qu'elle perde l'équilibre. Charognard, il n'hésite pas à interrompre le festin de renards ou d'une meute de loups, se faufilant dans le groupe avec agressivité, pour voler leur capture. Vorace, ce carnivore peut avaler des repas hyperconsistants, se gaver d'une carcasse de renne puis passer plusieurs jours sans se nourrir. Autre faculté d'adaptation au climat hostile : après l'accouplement (seul moment où mâle et femelle se rencontrent), la femelle a la faculté de retarder le début de sa gestation. Une fois l'ovule fécondé, il reste généralement au repos plusieurs mois, attendant des conditions favorables et une nature plus généreuse pour s'implanter dans l'utérus.

L'harfang des neiges

Il vit au nord du cercle polaire arctique, exposé aux grands froids, mais conserve une température corporelle entre 38 et 40°C. L'harfang des neiges est un oiseau vorace qui doit avaler une dizaine de rongeurs par jour pour subvenir à ses besoins. Pour cela, il chasse de jour comme de nuit et se protège notamment grâce à son épais duvet, des plumes abondantes lui recouvrant la face et les pattes. Mais quand les temps sont trop rudes, l'harfang des neiges régule sa population. Il pond plus ou moins d'œufs selon le stock de nourriture disponible, surtout constituée de lemmings dont le nombre est très variable d'une année sur l'autre. Autre stratégie d'adaptation, il migre vers le sud en hiver, où la nourriture est plus généreuse. Là, petits mammifères et oiseaux ont bien du mal à le voir venir avec son plumage blanc moucheté de gris, ressemblant à un tronc d'arbre.

Le saule arctique

Se faire tout petit pour échapper au froid, c'est une des règles primordiales de la flore polaire. Ainsi, le saule arctique est l'un des plus petits arbres du monde et l'un des rares à supporter le climat glacial et sec du Grand Nord. Avec ses branches qui rampent sur le sol, cet arbre nain ne dépasse pas les vingt centimètres de hauteur. Il peut ainsi profiter de la couverture neigeuse pour s'isoler du froid. Quant à ses racines, peu profondes, elles s'accommodent de la mince couche de sol souvent gelée de la toundra. Maillon indispensable de la chaîne alimentaire, le saule arctique nourrit plusieurs animaux tels que le bœuf musqué, le lièvre arctique ou le caribou. Car plus la nature est hostile, plus les espèces sont rudes et fragiles.

Le silène acaule

On retrouve cette même stratégie de nanisme chez le silène acaule, une plante émouvante et coriace, très résistante, qui éclot en une jolie fleur rose et colore la toundra pendant l'été, au Groenland ou au Svalbard mais aussi dans les Alpes ou les Pyrénées. Rampante, cette vivace se regroupe, formant des petits coussins en forme de mousse, pour lutter contre le froid, conserver l'humidité et réduire sa prise au vent.

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